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Panorama des collections de Clairvaux en 1472

À la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance, la bibliothèque de Clairvaux conserve des collections remarquables par la qualité et la diversité des textes rassemblés, mais aussi par la beauté de ses reliures et de ses enluminures.

Le catalogue de 1472 décrit l’ensemble des collections selon un classement correspondant à l’organisation du savoir à la fin du Moyen Âge. L’essentiel des ouvrages est rassemblé selon les grandes catégories suivantes :

  • La Bible et ses commentaires ;
  • Les Livres des « docteurs », c’est-à-dire des auteurs de référence pour l’Église catholique ;
  • La théologie, qui est une discipline universitaire ;
  • Les sermons, ainsi que les manuels de composition de sermons ;
  • L’histoire, qui comprend l’histoire du monde, l’histoire de l’Église, mais aussi les vies de saints, considérées comme des textes historiques ;
  • Le droit, et principalement le droit canon, c’est-à-dire le droit de l’Église ;
  • La médecine, les sept arts libéraux (grammaire, dialectique, rhétorique, musique, arithmétique, géométrie et astronomie) et la philosophie ; la Règle de saint Benoît et les textes propres à l’ordre cistercien (statuts et privilèges) ;
  • Les livres liturgiques.

Bibles glosées

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Le catalogue de 1472 recense 4 bibles complètes en plusieurs volumes, dont 3 sont attestées à Clairvaux dès le XIIe siècle, et 14 bibles entières en un seul volume de grand, moyen ou petit format. Au moins 2 bibles en plusieurs volumes ont été utilisées pour des lectures collectives, dans l’abbatiale ou au réfectoire. Bien que cela ne soit nullement signalé dans le catalogue de 1472, les bibles en un volume, notamment de petite taille, ont pu servir de support à la méditation et à la prière personnelle. et 

Dans les bibles glosées, au texte biblique est associée une glose, c’est-à-dire un commentaire. Celui-ci consiste en une interprétation ligne à ligne, voire mot à mot, du texte biblique, appuyée sur les commentaires qu’ont faits les Pères de l’Eglise des différents livres bibliques. La glose se constitue au cours du XIIe siècle ; au XIIIe siècle elle se présente sous une forme achevée, tant dans son texte que dans sa forme. Jusqu’à la fin du Moyen-Âge, elle constitue un des supports de l’enseignement de la théologie, véritable manuel unissant le texte et son interprétation, à l’image des ouvrages universitaires modernes surchargés de notes en bas de page. et 

Parmi près de 200 volumes de Bible glosée conservés à Clairvaux, certains ont pu nourrir la vie spirituelle des moines. C’est probablement le cas de la vingtaine de psautiers glosés que signale le catalogue.

En revanche, un autre type de livre est d’usage exclusivement universitaire : les concordances bibliques, qui sont des sortes d’index permettant de retrouver dans la Bible des mots ou des citations. Ce type de manuscrit a été inventé au XIIIe siècle. Les volumes peuvent être de très grande taille et sont souvent écrits en petites lignes d’écriture, avec beaucoup d’abréviations, car ils contiennent plus de texte qu’une Bible. et

Les commentaires bibliques sont particulièrement nombreux dans les collections claravalliennes. Sont rassemblés sous cette catégorie nombre d’écrits des Pères de l’Eglise. Ces auteurs, qui ont écrit entre le IIIe et le VIIe siècle de notre ère, sont considérés comme des références pour une interprétation juste et saine de la Bible, loin de toute hérésie. Les Pères les plus importants pour l’Église latine sont :

  • saint Jérôme (347-420)
  • saint Ambroise (v. 340-397)
  • saint Augustin (354-430)
  • saint Grégoire le Grand (540-604), pape en 590

Les Pères grecs sont généralement moins connus en Occident, à l’exception d’Origène (v. 185-v. 253).

Saint Jérôme jouit d’une considération particulière comme étant l’auteur de la Vulgate, traduction de la Bible appuyée sur les textes grecs et hébreux. Dans les manuscrits médiévaux de la Bible, la plupart des livres sont précédés d’une préface de saint Jérôme.

Certains des commentaires des Pères constituent des textes de référence de la spiritualité occidentale, tel le commentaire du Livre de Job par le pape Grégoire le Grand. Les multiples commentaires du Psautier sont très importants pour la spiritualité monastique. Origène est l’auteur d’Homélies sur le Cantique des Cantiques également très appréciées des moines. Ce texte a inspiré à saint Bernard une œuvre majeure, les Sermons sur le Cantique des Cantiques 1.

D’autres textes émanent de contemporains de saint Bernard et d’auteurs plus modernes. Dans le cas de ces derniers, il s’agit presque uniquement de maîtres parisiens dont les compositions ont un caractère nettement universitaire. C’est le cas des Postilles écrites par Nicolas de Lyre au XIVe siècle, qui proposent une interprétation historique de l’intégralité de la Bible très riche et très documentée.  

 

 

 

Les docteurs

Les docteurs sont recensés par ordre chronologique, en commençant par les Pères de l’Eglise.

Sont ensuite cités des auteurs de la période carolingienne, puis saint Bernard et ses contemporains, et enfin des auteurs plus récents, cisterciens ou se rattachant par leurs écrits à la tradition cistercienne. Le catalogue de 1472 abonde en renvois aux commentaires de la Bible par ces mêmes auteurs, recensés dans la partie précédente.

La collection des Pères de l’Eglise, presque entièrement constituée au XIIe siècle, est d’une richesse remarquable. Elle s’ouvre sur vingt et un volumes des Pères grecs, Origène mais aussi saint Basile, saint Jean Chrysostome et un auteur mystique désigné de nos jours comme le Pseudo-Denys. Clairvaux ne conserve que des traductions latines de leurs œuvres.

Les Pères latins représentent quant à eux une centaine de volumes : commentaires bibliques, sermons, ouvrages doctrinaux et textes polémiques écrits contre diverses hérésies.

Le monument le plus remarquable de cet ensemble est la collection complète des Opuscules de saint Augustin, en sept volumes de très grande taille, copiés dans les années 1140. Cette collection rassemble même des œuvres rares, comme l’Opus imperfectum, ouvrage de saint Augustin qu’il écrivait au moment de sa mort et resté inachevé. On sait à présent que cette collection ne fut pas compilée à Clairvaux ; mais un travail critique original y fut mené, Nicolas de Clairvaux ayant fait noter justement dans le texte de l’Opus imperfectum des variantes d’un manuscrit de Cluny de la même œuvre.

À la charnière de l’Antiquité et du Moyen-Âge, Boèce (v. 470-524) est l’auteur d’une Consolation de la philosophie qui concilie la quête chrétienne de l’amour de Dieu et l’étude de la philosophie par le biais des disciplines issues de l’Antiquité. Cet ouvrage, un des plus lus au Moyen Âge, a eu une influence déterminante sur l’enseignement médiéval. Les auteurs postérieurs ne se limitent pas à des sujets religieux. Ils s’illustrent également dans les genres didactique, poétique, historique, encyclopédique et même métaphysique.  

Je me mis à chercher à part moi s’il n’était pas possible de découvrir un argument unique qui, pour être probant, n’eût besoin d’autre que lui, et qui, à lui tout seul, suffit à garantir que Dieu est vraiment, qu’il est le souverain bien qui ne manque d’aucun autre bien et dont tous ont besoin pour être et être bien, ainsi que tout ce que nous croyons de la substance divine. Saint Anselme de Canterbury, Proslogion, trad. Bernard Pautrat, Flammarion 1993

Saint Bernard tient naturellement la première place parmi les auteurs du XIIe siècle. Il composa une nombreuse correspondance, des sermons et plusieurs traités. Dans ces derniers, il s’exprime en matière de spiritualité, mais aussi de philosophie, de doctrine et d’organisation de l’Église. Ses deux œuvres majeures sont le Traité de la considération, composé à l’intention du pape, et les Sermons sur le Cantique des Cantiques. Il développe une spiritualité de l’action dans le premier ouvrage, de la contemplation dans le second, qui restent des références pour les chrétiens.

Le Catalogue recense vingt-neuf volumes de saint Bernard, dont un tiers de florilèges. Les Sermons sur le Cantique des Cantiques tiennent la première place dans cet ensemble. Si la bibliothèque de Clairvaux possède l’ensemble des œuvres de son premier abbé, elle n’en conserve pas les manuscrits les plus anciens. La plus ancienne collection conservée à Clairvaux est un manuscrit prototype, copié vers 1160 et destiné à servir de modèle pour la diffusion des œuvres de saint Bernard. Les copistes de ce manuscrit ont introduit des erreurs et des modifications importantes dans le texte original.

Après saint Bernard sont cités : Richard de Saint-Victor et Hugues de Saint-Victor, deux maîtres parisiens contemporains de saint Bernard et proches de lui par leur enseignement ; Eudes de Morimond 1 et Alain de Lille, deux auteurs cisterciens de la fin du XIIe siècle ; enfin, Pierre de Ceffons, un moine de Clairvaux qui tint une chaire de théologie à Paris au milieu du XIVe siècle. Les travaux de ce dernier n’ont rien de commun avec ceux des auteurs précédents, ils relèvent de la théologie scolastique qui trouve normalement place dans une autre partie du catalogue ; son rattachement aux « docteurs » est une marque d’honneur envers un moine de Clairvaux.   

Une place à part est faite aux « Epîtres des docteurs ». Le genre épistolaire est particulièrement goûté au Moyen-Âge. Cette partie du catalogue comporte surtout des renvois. Y sont recensées les œuvres d’auteurs s’étant illustrés plus particulièrement dans ce genre : Sidoine Apollinaire, Yves de Chartres et surtout Pierre de Blois, dont la correspondance constitue un modèle de style avant l’humanisme. Car c’est bien de style qu’il est question, autant sinon plus que de pureté dogmatique. À preuve, cette sous-partie commence par un renvoi aux épîtres de Cicéron 1 et s’achève par un autre renvoi à celles de Nicolas de Clamanges, un des précurseurs de l’humanisme en France. Cette partie consacrée à la correspondance rassemble manifestement des ouvrages qui n’ont pas trouvé place ailleurs.

 

 

Sentences

La théologie spéculative débute par la rédaction de recueils de « Sentences ». Ces ouvrages s’appuient sur la même matière que les bibles glosées : les sentences, ou jugements, des Pères de l’Eglise. Mais ils s’en distinguent par plusieurs innovations : les différents thèmes sont abordés selon un ordre systématique ; ils sont présentés sous forme de questions, auxquelles viennent répondre les sentences des Pères ; les auteurs des recueils s’efforcent de résoudre les contradictions entre plusieurs sentences.

Le Catalogue de Clairvaux débute par un ensemble remarquable de neuf volumes, tous conservés, des Sentences de Pierre Lombard (v. 1100-1160). Il s’agit du recueil qui s’est imposé entre tous au point de devenir un des manuels de base de l’enseignement de la théologie à partir du XIIIe siècle1. Son auteur avait bénéficié dans ses débuts du soutien de saint Bernard, qui favorisa sa venue à Paris où il enseigna au milieu du XIIe siècle.  Le Livre des Sentences de Pierre Lombard est divisé en quatre parties, portant respectivement sur Dieu, la création, Jésus Christ et enfin les sacrements.

L’enseignement étant basé sur la lecture et le commentaire du Livre des Sentences, des commentaires de ce texte par les principaux maîtres de théologie ont été diffusés. Ces commentaires prennent généralement la forme de la quaestio, utilisée dans l’enseignement : un passage du texte des « Sentences » donne lieu à une interrogation formulée par le maître qui la résout ensuite. Cette même forme pédagogique est utilisée dans les « Sommes », qui se développent au XIIIe siècle à partir des Sentences. L’enseignement universitaire passe aussi par les quodlibeta, exercices au cours desquels un maître peut être amené à répondre à des questions sur n’importe quel sujet. Ce genre a également donné lieu à des recueils. 

L’auteur de référence est saint Thomas d’Aquin. Il est cité dans le catalogue de 1472 juste après Pierre Lombard, pour son commentaire des Sentences puis pour sa Somme théologique et ses autres œuvres. En 1472, la bibliothèque de Clairvaux comptait 35 volumes des œuvres de cet auteur, presque tous conservés. Vient ensuite Pierre de Tarentaise, également dominicain, qui devint archevêque de Lyon puis pape sous le nom d’Innocent V. Clairvaux possédait 17 volumes de ses commentaires du livre des sentences.  

Si nous résolvons les problèmes de la foi par seule voie d’autorité, nous posséderons certes la vérité mais dans une tête vide ! Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, trad.
Aimon-Marie Roguet, Cerf 1984

En-dehors de ces deux auteurs, Clairvaux conserve une collection d’une soixantaine de volumes de théologie spéculative. Les auteurs franciscains y tiennent une part importante, au premier rang desquels saint Bonaventure.

 

 

Les sermons

Les sermons peuvent également être composés et lus hors de toute célébration, comme c’est le cas de certains des sermons de saint Bernard.

La composition de sermons est facilitée par divers instruments de travail.

  • Les « distinctiones» se situent à juste titre, dans le catalogue de 1472, à la charnière entre la théologie et les sermons. Ces dictionnaires répertoriant les différentes acceptions que peut avoir un mot dans la Bible peuvent faciliter aussi bien son interprétation que la rédaction de sermons.
  • Les « exempla» sont de courts récits moraux destinés à réveiller l’intérêt de l’assistance. Les auteurs de sermons en mal d’inspiration peuvent s’aider de recueils d’exempla.
  • Les « artes predicandi » sont des manuels de composition de sermons. Ils sont souvent associés, soit à des distinctiones, soit à des recueils d’ exempla.

Dans cet esprit, de nombreux livres sont rapprochés des sermons comme utiles à leur composition, tels que les fables, les traités de morale, et même les encyclopédies. Tel est le cas du Livre des propriétés des choses de Barthélémy l’Anglais, composé au XIIIe siècle. Cette encyclopédie fait la part belle à l’étude de la nature : les chapitres consacrés aux animaux sont surchargés de réflexions morales. Dans l’exemplaire conservé à Clairvaux, celles-ci sont soulignées en marge par une série d’annotations manifestement destinées aux auteurs de sermons. 

Dans le catalogue de 1472, les livres de sermons sont classés par auteur, selon un ordre chronologique. Après les recueils de sermons des Pères de l’Eglise, une part égale est donnée, pour le XIIe siècle, aux auteurs cisterciens de sermons – Guerri d’Igny, Adam de Perseigne – et aux maîtres universitaires – Pierre le Mangeur, Philippe le Chancelier – avant de laisser une large place aux œuvres des Dominicains et des Franciscains. Aux recueils de sermons classiques s’ajoute une collection particulièrement fournie de recueils anonymes. Au total, la bibliothèque compte cent soixante dix-neuf volumes de sermons, ce qui montre combien les moines étaient friands de ce type de lectures.

 

 

La Bible

L’interprétation littérale de la Bible, qui consiste au Moyen Âge à l’étudier comme récit historique, se rattache ainsi à l’histoire. Par ailleurs, les vies de saints, avec bien entendu les nombreux récits de miracles qui s’y rattachent, sont également considérées comme relevant de l’histoire.

En 1472, ces vies de saints constituent la part principale des collections d’histoire de Clairvaux. Ils représentent 33 volumes, dont 12 exemplaires de la Légende dorée, synthèse des vies des principaux saints mettant particulièrement l’accent sur les récits miraculeux.  

Or Quintien, gouverneur de Sicile mais de basse naissance, libidineux, cupide et adonné aux idoles, tentait d’épouser sainte Agathe. En effet, étant de basse extraction, il voulait se faire craindre en épousant une noble ; étant libidineux, il voulait jouir de sa beauté; étant cupide, il voulait s’emparer de ses richesses; et, comme idolâtre, il voulait l’obliger à sacrifier à ses dieux.
Jacques de Voragine, Légende dorée, Gallimard 2013.

Les autres ouvrages historiques sont divisés entre histoire de l’Église et histoire universelle et classés au sein de chaque catégorie par ordre chronologique. L’Histoire scolastique de Pierre le Mangeur, principale interprétation littérale de la Bible, est bien représentée avec 9 volumes. Les histoires universelles vont de textes antiques ou considérés comme tels – comme l’Histoire d’Alexandre le Grand ou la Guerre des Gaules de Jules César – à des textes plus récents relatifs notamment aux croisades.

Cette partie du catalogue s’achève sur un ouvrage considérable, le Miroir de l’histoire. Cet ouvrage constitue le troisième volet d’une gigantesque encyclopédie compilée par un dominicain du nom de Vincent de Beauvais. Elle se compose de trois parties : le Miroir de la nature, le Miroir de la doctrine et le Miroir de l’histoire. Clairvaux ne possède que cette troisième partie, qui représente à elle seule deux volumes manuscrits, soit près de 800 feuillets.

Le Miroir historial s’achève au milieu du XIIIe siècle, comme les textes les plus tardifs cités dans le catalogue. Il est frappant de constater qu’en 1472 Clairvaux ne possède aucun texte historique sur les XIVe et XVe siècles.  

 

 

Le Digeste et les Institutes

Cet ensemble comprend le Code, le Digeste et les Institutes. Ces ouvrages sont à la base du développement du droit civil et de la formation des juristes. Ils ont fait l’objet de nombreux commentaires. La bibliothèque de Clairvaux ne conserve que six volumes traitant de droit civil, dont cinq manuscrits des différentes parties du Corpus juris civilis. [legende bloc=1 image=1]

Le droit canon, ou droit de l’Église, s’est développé en partie en réaction aux progrès du droit civil. Il est constitué par les canons des différents conciles. Une grande œuvre de codification et de synthèse est menée vers 1140 par Gratien. Son œuvre, connue sous le nom de Décret, est intitulée Concordantia discordantium canonum. Elle rassemble les canons des conciles antérieurs selon une structure systématique, construite en trois parties :

  • Les « distinctions », qui définissent les principaux concepts et les sources du droit canon ;
  • Les « causes », qui abordent les grands thèmes du droit canon – élection d’évêque, simonie, etc : elles sont présentées sous forme de cas d’école traités dans leurs diverses implications ;
  • Une partie brève sur la consécration d’une église et sur les sacrements.

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Le droit canon s’enrichit considérablement à la fin du Moyen-Âge, non point tant de canons conciliaires que de règles émises directement par les papes, les décrétales. Celles-ci font l’objet de collections officielles successives et complémentaires : Décrétales (1234), Sexte (1298), Clémentine (1317). Ces différents livres sont le support d’un enseignement et, par conséquent, des versions glosées et des commentaires en sont diffusés.

Les manuscrits de droit canon représentent 89 volumes dans la bibliothèque de Clairvaux en 1472. Contrairement au droit civil ou à la médecine, le droit canon faisait manifestement l’objet d’un authentique intérêt de la part de Clairvaux. Une telle connaissance était indispensable pour défendre les intérêts du monastère.

 

 

Articella

Cette collection comprend des textes d’Hippocrate et de Galien, les deux médecins les plus réputés de l’Antiquité, et d’autres ouvrages de médecine d’origine byzantine ou arabe, tous antérieurs à l’an Mil. Ces différents textes ont fait l’objet de commentaires, présents dans les manuscrits sous forme de gloses, et qui sont autant objets d’enseignement que les textes originaux.

La vie est courte, l’art est long, l’occasion est prompte [à s’échapper], l’empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile.
Hippocrate, Aphorismes, section 1 1.

A la fin du XIIe siècle, un texte fondamental est traduit en latin : le Canon d’Avicenne, rédigé vers 1020 par un médecin et philosophe persan. Avicenne a voulu faire une synthèse de l’ensemble des écrits médicaux antérieurs, et notamment ceux d’Hippocrate et Galien. Il fait également état de sa propre expérience de praticien. Ce texte est traduit en latin dans la seconde moitié du XIIe siècle et il entre également dans l’enseignement.

Le catalogue de 1472 recense en premier lieu six exemplaires de l’Articella, suivis d’un exemplaire du Canon. Clairvaux conservait encore quelques autres textes moins importants, issus de l’école de Salerne. L’ensemble représente 17 volumes, dont 8 subsistent, tous conservés à la Bibliothèque de l’École de Médecine de Montpellier.

Il y a deux genres d’épilepsie : l’une où les malades perdent connaissance, subissent des contractions des mains et des pieds et un tremblement de la tête ; l’autre où ils écument et tombent sans contraction des membres ; le vulgaire les qualifie de démoniaques. Gariopontus, livre 1, chapitre 6

 

 

 

L’enseignement des arts libéraux

L’enseignement des arts libéraux à l’université occupe une place particulière : il constitue un préalable obligé à l’étude des autres disciplines, théologie, droit et médecine ; mais une partie des enseignants et des étudiants de cette faculté, les « artiens », considère cette étude comme une fin en soi. Les artiens de la fin du Moyen Âge ont développé l’étude de la philosophie ainsi que certains travaux scientifiques et favorisé les progrès de l’étude des belles-lettres.

Clairvaux fait la part belle à l’étude des lettres. La section « arts et philosophie » s’ouvre sur un ensemble très riche d’ouvrages de grammaire ; à l’époque médiévale, cette discipline couvre également l’orthographe et des rudiments de linguistique.

La logique, ou dialectique, était une discipline reine dans l’enseignement des arts aux XIIIe et XIVe siècles. Abélard avait ouvert la voie au début du XIIe siècle en appliquant la dialectique à l’étude de l’Écriture et des Pères de l’Église ; tous les théologiens du XIIe siècle ont dû prendre position sur la place à donner à la dialectique dans l’interprétation des textes sacrés.

Abélard s’appuie sur un ensemble de textes d’Aristote ou inspirés de lui appelé « vieille logique ». Au début du XIIIe siècle s’impose la « nouvelle logique », fruit de la découverte et de la traduction de nouveaux textes d’Aristote.

À partir du milieu du XIIIe siècle, la connaissance de la « nouvelle logique » est indispensable à l’apprentissage de la théologie. Pourtant, les 9 volumes de logique que Clairvaux possède en 1472 relèvent en majorité de la « vieille logique ».

La rhétorique enseigne l’art de bien parler et de bien écrire. Cette section s’ouvre sur une approche théorique de la discipline, illustrée par un unique manuscrit de la Rhétorique d’Aristote et par les œuvres de Cicéron, ou celles qui lui sont attribuées. S’y ajoutent d’autres textes plus récents et même quelques recueils de modèles de lettres.

Après les textes théoriques viennent les modèles que constituent les écrits des grands auteurs. Ovide tient la meilleure place ; mais apparaissent aussi Virgile, Horace, Lucain, Juvénal, Stace et Claudien. Sont ensuite cités des textes de la fin du XIIe siècle : LAlexandréide de Gautier de Châtillon, qui constituait aux XIIIe et XIVe siècles la base de l’enseignement de la rhétorique ; L’Aurore de Pierre Riga et L’Anticlaudianus d’Alain de Lille.

Les disciplines scientifiques ne sont représentées que par 12 volumes : des manuels classiques d’arithmétique, de géométrie et d’astronomie suivis de plusieurs volumes de comput, une technique permettant principalement de calculer les calendriers liturgiques. Aucun ouvrage de musique n’est signalé.

Tout cet ensemble, qui reprend l’organisation traditionnelle du savoir, est suivi de la nouvelle philosophie, composée des textes d’Aristote diffusés à la fin du XIIe siècle, et de leurs commentaires par des maîtres modernes, Albert le Grand, saint Thomas d’Aquin, Gilles de Rome. Dans cette section conséquente, le catalogue met en relief la Physique, la Métaphysique et l’Ethique d’Aristote.
Cette section du catalogue s’achève sur 3 exemplaires d’un traité de philosophie politique de Gilles de Rome ; Clairvaux ne possédait pas la Politique d’Aristote, à laquelle ces ouvrages auraient normalement dû se rattacher.

 

 

Règle de saint Benoît

Au IXe siècle, elle s’impose dans la quasi-totalité des monastères d’Occident. Le texte se compose d’un prologue et d’articles portant sur l’organisation du monastère et les fonctions qui s’exercent en son sein. La Règle bénédictine partage la journée des moines entre prière, travail manuel et étude. Elle impose aux moines une austérité moindre que les Règles plus anciennes, comme la Règle de saint Basile, appliquée en Orient.

Les Cisterciens suivent la Règle de saint Benoît, ils considèrent même qu’ils la respectent plus fidèlement que les autre monastères et notamment plus que l’ordre de Cluny.

En 1472, Clairvaux conserve sept manuscrits de la Règle, dont quatre peuvent servir lors du chapitre quotidien. En effet, ils comportent également un martyrologe, c’est-à-dire la liste des saints honorés chaque jour. Au cours du chapitre, la lecture des saints du jour est suivie de la lecture et du commentaire d’un article de la Règle.

La vie du monastère est également gouvernée par les Usages des moines et des convers, qui précisent et complètent les prescriptions de la Règle.  

Outre la Règle et les Usages, les manuscrits de Clairvaux comportent les éléments de législation propres à l’ordre de Cîteaux : ce sont les privilèges de l’ordre confirmés par les papes et les délibérations du chapitre général de l’ordre de Cîteaux, recensées sous le titre de Diffinitiones. L’auteur du catalogue a recensé une dizaine de volumes de ces dernières, plus que d’exemplaires de la Règle. Le premier volume signalé était utilisé par l’abbé lorsqu’il visitait les abbayes-filles de Clairvaux.

 

 

Livres liturgiques

Le missel réunit les textes et prières de la messe. Il est utilisé par le célébrant qui y trouve les prières qu’il doit prononcer et peut suivre aisément l’ensemble de la cérémonie. Les lectures faites pendant la messe sont réunies dans des manuscrits de grande taille, utilisés par les lecteurs pour une lecture publique.  

Comme pour le missel, le bréviaire rassemble l’ensemble des textes et des prières de la liturgie des heures, à l’exception des Psaumes, que les moines récitent de mémoire. Les bréviaires sont très nombreux à Clairvaux. Le catalogue de 1472 atteste qu’ils sont souvent attribués à un moine. Au total une vingtaine d’entre eux disposent d’un bréviaire à leur usage personnel : certains ont des missions permanentes hors du monastère ; d’autres ont des fonctions importantes qui doivent les amener à s’absenter périodiquement. La détention d’un bréviaire leur permet ainsi de suivre les offices de la communauté.

Les chants figurent principalement dans d’autres types de livres, appelés graduels ou antiphonaires. Ce sont souvent des manuscrits luxueux, de grande taille, présentant des partitions. Pour Clairvaux, ces manuscrits ont entièrement disparu, à l’exception de quelques feuillets réutilisés pour renforcer d’autres livres. A défaut, un remarquable graduel copié au milieu du XVIIIe siècle donne une bonne idée de l’apparence de ces manuscrits prestigieux.