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Enluminure et couleurs au Moyen Âge

 

 

L’enluminure désigne une peinture ou un dessin dans un livre. Destinée à faciliter la compréhension du texte, elle sert de repère visuel et signale le début d’un chapitre ou d’un paragraphe. Entre le début du Moyen Âge et la Renaissance, sa dimension esthétique et sa taille ne vont cesser de croître.

Introduction à l’enluminure

Du latin « illuminare » qui signifie éclairer, l’enluminure désigne une peinture ou un dessin fait à la main, dans les livres manuscrits. Destinée à faciliter la compréhension du texte, elle sert de repère visuel et indique le début d’un livre, d’un chapitre ou d’un paragraphe. Elle se développe au Moyen Âge, sur un support appelé codex1.

Entre le VIe et le XVIe siècle, sa dimension esthétique, son importance dans l’ouvrage ne vont cesser de croître. À la lettre ornée, c’est-à-dire décorée, stylisée, s’ajoutent la lettre figurée dans laquelle l’enlumineur représente un personnage ou un animal et la lettre historiée représentant des scènes, des histoires. À l’époque gothique, au XIIIe siècle, se développent les marges : dessins et scènes encadrant le texte et, au XIVe siècle, apparaît la miniature : petit tableau associé à l’enluminure.

L’enluminure est une étape de la fabrication du manuscrit. Les peintres interviennent après les copistes et avant le relieur. Leur travail, délicat et minutieux, consiste à la préparation des pigments, au dessin, d’abord à la mine de plomb puis à l’encre, et à la pose des couleurs.

À son apogée au 15ème siècle, l’invention de l’imprimerie et la généralisation des imprimés amorcent son déclin.


 

En tant que membre exerçant le métier de peintre, moi, Cennino Cennini, fils d’Andra Cennini, je fus instruit dans cet art pendant douze ans par mon maître Agnolo qui lui-même fut élève de Taddeo pendant vingt-quatre ans ! (…) Pour aider tous ceux qui veulent parvenir à cet art, je noterai ce qui me fut appris par mon maître, et ce que j’ai essayé de ma main.

Cennino Cennini Le livre de l’art, chapitre I, fin 14ème siècle.

 

 

La fabrication des colorants

Qu’il s’agisse de pigment naturel ou artificiel, les matériaux utilisés pour la fabrication des couleurs sont d’origine végétale, animale ou minérale. Souvent, la fabrication d’une couleur requiert l’utilisation de matériaux de plusieurs origines :

Prens une once d’Orpiment et une once de fin cristal, et les broye très bien chacun à part soy, puis mesle tout ensemble avec de la glaire d’œuf et en escris

( Extrait de Mappae Clavicula, petite clef de la peinture, 10ème siècle).


 

Dans cette recette à base d’orpiment, pierre essentiellement composée d’arsenic et de souffre utilisée pour élaborer une couleur dorée, il est conseillé de broyer séparément de l’orpiment et du cristal (deux minéraux), puis d’y ajouter du blanc d’œuf (élément d’origine animale).

Ces secrets de chimie et d’alchimie sont transmis par le maître à son apprenti de génération en génération. Beaucoup de recettes nous sont parvenues à travers des ouvrages de peintres et d’érudits tels que Vitruve et Pline l’ancien,  passeurs des connaissances de l’Antiquité, le moine Théophile qui, au XIIe siècle, décrit les pratiques d’un atelier monastique, Cennino Cennini peintre italien de la fin du XIVe siècle ou encore Jean Lebègue, auteur d’une compilation de recettes réalisée vers 1430…

 

 

L’encre

Deux catégories d’encre sont utilisées au Moyen Âge : l’encre au carbone et l’encre dite métallo-gallique. La fabrication de l’encre au carbone est décrite par Vitruve au Ier siècle avant J.-C. : il s’agit de noir de fumée auquel on ajoute du blanc d’œuf ou de l’huile. Cette encre est plus couvrante et foncée, sa couleur étant d’un brun très prononcé.

L’encre métallo-gallique est appelée ainsi car elle emploie du sulfate de fer (ou de cuivre), de la gomme arabique et surtout du tanin extrait de la galle du chêne. Ces noix de galles consistent en de véritables petits réservoirs de tanin concentré résultant de la ponte d’un insecte. Elles doivent être récoltées avant l’éclosion de la larve qui perce la coque pour s’extraire. Ensuite, elles sont traitées en décoction, c’est-à-dire qu’on fait bouillir ces galles dans de l’eau qu’on laisse s’évaporer en partie. Le liquide brun est filtré puis remis sur le feu avec le sulfate de fer et la gomme arabique puis filtré à nouveau. La préparation de cette encre est plus délicate, un mauvais dosage du sulfate de fer pouvant s’avérer très corrosif pour le parchemin.


Si tu veux faire une bonne encre ou une bonne « teinture », prends douze livres d’eau de pluie et deux livres de noix de galle et, le soir, mets lesdites noix de galle dans ladite eau de pluie à macérer jusqu’au matin. Fais bouillir le tout jusqu’à ce que cette liqueur réduise de moitié seulement ; ensuite, filtre cette eau bien soigneusement à travers un linge fin et remets-la sur le feu ; prends quatre onces de gomme arabique que tu fais bouillir avec la liqueur susdite jusqu’à ce que la gomme soit liquéfiée. Filtre à nouveau ; après quoi prends une livre de bon vin blanc, bien limpide, et trois onces de vitriol2 et mélange-les bien également ; et fais bouillir un peu avec la susdite liqueur ; filtre encore soigneusement. Et cela fera une bonne encre.

Recette extraite du manuscrit BN latin 8651 f° 88v (XIIIe siècle – Bibliothèque nationale de France)

 

 

Le Bleu

Le pigment bleu était souvent extrait du pastel dans la mesure où cette plante était abondamment cultivée en Europe. Toutefois, les plus fortunés pouvaient utiliser le lapis-lazuli, une pierre semi-précieuse importée d’Afghanistan et qui se présente sous la forme de blocs de roche grise et bleue que l’on broie par petites quantités dans des mortiers en bronze. La poudre obtenue est mélangée à une matière grasse comme de la cire puis pétrie dans de l’eau afin d’isoler le pigment recherché. Les enlumineurs appréciaient beaucoup ce bleu profond qu’ils assombrissaient ou éclaircissaient en incorporant de l’encre au carbone ou en ajoutant davantage de liant (gomme arabique). Le prix du lapis-lazuli, également appelé lazurite, était si élevé qu’il était souvent exprimé en onces d’or.


Pour faire un excellent bleu outremer, prenez du lapis-lazuli à volonté et broyez-le finement sur une meule de porphyre, puis faîtes une masse ou une pâte des ingrédients suivants : pour une livre de lapis, prenez six onces de poix grecque, deux de mastic, deux de cire, deux de poix noire, une huile d’aspic ou de lin et une demi-once de térébenthine, faîtes bouillir le tout dans une casserole jusqu’à les presque fondre, puis filtrez et recueillez le produit dans l’eau froide, remuez et mélangez bien avec la poudre de lapis-lazuli jusqu’à les incorporer, et laissez reposer huit jours ; plus ils reposent, meilleur et plus fin sera le bleu ; puis malaxez la pâte avec les mains en arrosant d’eau chaude, aussitôt le bleu en sortira avec l’eau ; la première, la seconde, la troisième eau sont à conserver séparément. Et lorsque vous verrez le bleu descendu au fond du récipient, jetez l’eau et gardez-le bleu

Livre des couleurs de Jean Lebègue (1431)

 

 

Le Rouge

Citée par Pline et Vitruve, la garance est connue dès l’Antiquité pour ses propriétés tinctoriales. Au Moyen Âge, l’empereur Charlemagne ordonne la culture de cette plante dans tout son empire : le rouge tiré de ses racines est employé pour la teinture des draps et des tissus de laine. Au XIIIe siècle, la garance fait l’objet d’un commerce important aux foires de Champagne.

Cette plante se récolte en automne. Seules les racines sont utilisées pour la fabrication des pigments. Lavées, séchées puis écorcées, ces dernières sont ensuite broyées puis moulues. La poudre brune obtenue peut se conserver dans des tonneaux pendant des années. La poudre est mise à macérer dans l’eau tiède pendant 12 à 24 heures. Le lavage de la décoction est renouvelé jusqu’à l’obtention d’un liquide rouge vif. De la poudre de pierre d’alun* est ajoutée au jus coloré qui est ensuite filtré. Le dépôt recueilli ressemble à une gelée rouge foncée qui, une fois sèche, forme des blocs. Ceux-ci sont broyés dans un mortier jusqu’à l’obtention d’une poudre appelée laque de garance.

* la pierre d’alun est blanche et translucide. Elle est connue pour ses propriétés astringentes et antiseptiques.

 

 

Les Bruns

Les pigments bruns proviennent essentiellement de terres colorantes pour la plupart issues de carrières françaises (Ardennes, Puisaye et Vaucluse) pour les ocres jaunes, rouges et blanches et italiennes pour les terres brunes, vertes ou noires.

Ces terres, une fois extraites de sables ocreux, sont  séparées des sables et des impuretés  par lavages et décantations successifs, avant d’être séchées, découpées en pains, broyées et tamisées. Certaines sont cuites pour obtenir des teintes différentes. Les ocres sont essentiellement composées d’argile et d’oxyde de fer. Les terres peuvent contenir du manganèse ou du cuivre (terre verte).
Les pigments issus des ocres ont l’avantage d’être peu onéreux, inoffensifs, inaltérables et d’un pouvoir colorant et couvrant très apprécié.

 

 

Le Vert

Fabriqué dès l’Antiquité, cité par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, le pigment vert est obtenu artificiellement en mettant en contact du cuivre (en feuilles ou en lames) avec du marc de raisin, vinaigre chaud ou urine. La corrosion du cuivre est visible par un gris verdâtre se formant en plaquettes sur le métal. Il suffit de gratter le dépôt puis de le broyer au mortier.

Si le métal est du plomb, la recette, par le même procédé, permet d’obtenir le fameux blanc de plomb puis le minium, pigment d’un orange intense.

Selon les ingrédients employés et les recettes de fabrication très nombreuses au Moyen Âge, on dispose de pigments dont les teintes varient d’un gris coloré verdâtre jusqu’à un vert vif et puissant en passant par un joli turquoise. Ce vert artificiel est nommé vert-de-gris, vert d’Espagne, vert de Rouen, vert salé, verdet…

Malgré sa mauvaise résistance à l’air et à l’humidité, ce pigment vert fut largement employé dans la décoration des manuscrits.  Il faut l’utiliser avec prudence en raison de sa toxicité et l’employer pur. Les peintures à son contact s’altèrent irrémédiablement. On retrouve très souvent une migration du vert sur les folios du parchemin, parfois jusqu’à la corrosion.

 

 

L’Or

Aucun autre corps n’est plus extensible en largeur que l’or ni ne se laisse réduire en un plus grand nombre de parties, puisqu’une once se divise en 750 000 feuilles ou plus.

Cette description de l’or extraite de l’Histoire Naturelle de Pline  révèle l’admiration et la fascination suscitées par ce métal dès l’Antiquité. L’or se trouve dans la nature sous forme de pépites. Malléable et résistant, à la fois dense et tendre, il est le plus noble des métaux.

Symbole de richesse et de lumière sa couleur dorée est utilisée pour sublimer l’enluminure.

Le battage de l’or, transformation des pépites en feuilles d’or, permet la pose de ce métal  sur le parchemin. Cependant, afin d’assurer son adhésion au support, la pose d’un enduit est nécessaire. Celui-ci est fabriqué avec du plâtre éteint, de la colle de poisson, du blanc de plomb, du sucre, du miel ou de la terre d’ocre.

Une fois l’or appliqué, il faut encore le brunir : il est poli puis lissé avec une pierre dure, taillée en forme de dent de loup. Cette dernière étape  le rend brillant et assure une meilleure adhérence sur l’enduit.


 

Sache que pour l’or que l’on emploie sur des surfaces planes, on ne devrait pas tirer plus de cent feuilles d’un ducat, alors qu’on en tire cent quarante-cinq ; car l’or utilisé doit être plus épais. Si tu veux être sûr de l’or, quand tu l’achètes, prends-le chez un bon batteur d’or et regarde-le : si tu vois qu’il présente des moirures et qu’il est raide comme du parchemin de chevreau, considère-le alors comme bon. Sur les moulures et les feuillages, on dore mieux avec un or plus mince ; pour les frises délicates et les ornements faits au mordant, il faut un or très mince, léger comme une toile d’araignée.

Cennino Cennini, Le livre de l’art (1437)

 

 

L’apogée et la fin de l’enluminure

Vers la fin du Moyen Âge les enlumineurs atteignent une maîtrise parfaite des techniques et des couleurs. L’art de l’enluminure atteint son âge d’or et les décorations occupent un espace de plus en plus important dans les manuscrits avec de véritables tableaux miniatures et une occupation maximale des marges peuplées de décors végétaux ou animaux. Ces trésors de l’enluminure gothique sont néanmoins voués à l’extinction. C’est en effet vers 1450 que Johannes Gutenberg met au point sa presse à bras et que naissent les premiers livres imprimés appelés incunables. Ces ouvrages sont encore enluminés et même imprimés sur parchemin dans un premier temps. Ces méthodes disparaissent progressivement jusqu’en 1500. Par la suite, les enluminures colorées laissent la place à des gravures sur bois et le papier, au coût de production moins élevé, remplace le parchemin.

 

 

Références

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  1. le codex est le support de l’écrit que nous appelons « livre ». Il est composé de feuillets rassemblés en cahiers cousus ensemble puis reliés.
  2. vitriol : acide sulfurique