Histoire de la bibliothèque de Clairvaux : les enrichissements
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Les moyens par lesquels la bibliothèque s’enrichit évoluent considérablement au cours du temps. Constituées principalement, au cours du XIIe siècle, par l’activité de copie menée au sein de Clairvaux et par quelques dons, les collections s’enrichissent surtout, du XIIIe au XVe siècle, de production des ateliers parisiens achetée par l’abbaye ou offertes par des donateurs. Autour de 1500, l’implication de Clairvaux dans des réseaux humanistes est déterminante pour l’acquisition d’imprimés publiés à Paris. En 1783, après une forte atonie des enrichissements, Clairvaux fait l’acquisition d’une bibliothèque d’une richesse exceptionnelle. Suite à la confiscation des biens de Clairvaux en 1790, le fonds de Clairvaux peut être considéré comme clos et les enrichissements prennent la forme de tentatives de rassemblement, physique ou virtuel, des collections claravalliennes.

Clairvaux a dû bénéficier à sa fondation d’une dotation de manuscrits comportant la Règle et les livres liturgiques1. Aucune trace ne subsiste de ce petit ensemble de livres, qui a pu servir à doter telle ou telle fille de Clairvaux2.

Au cours du XIIe siècle, la bibliothèque se constitue principalement par la copie de manuscrits. Cela suppose des dépenses considérables pour se procurer parchemin, cuir, encre et pigments, mais aussi des moines spécialisés : copistes, enlumineurs, relieurs. Les manuscrits copiés à Clairvaux à cette époque qui ont été conservés ont généralement comme support un parchemin de bonne qualité. Les copistes recourent à une écriture livresque, très lisible mais nécessitant plus de temps qu’une écriture cursive.

Outre ces aspects matériels, la constitution d’une bibliothèque nécessitait de disposer de modèles. Le rapide développement de la bibliothèque au XIIe siècle tient aussi à l’importance du réseau de prêteurs qu’elle a constitué. Des liens ont pu être mis en évidence avec des bibliothèques relativement proches, celles de la cathédrale de Troyes[p1] , de la bibliothèque des comtes de Champagne, ou plus lointaines, comme celles de Saint-Victor, de Saint-Denis et de Cluny. Des relations étroites existent avec les autres abbayes cisterciennes et notamment Pontigny. S’y ajoutent des liens personnels avec certains auteurs, comme Pierre Lombard[p2] .

La correspondance de Nicolas de Clairvaux nous donne un aperçu sur cette circulation de documents. Dans une lettre particulièrement intéressante, l’abbé de Cluny [p3] Pierre le Vénérable sollicite la restitution d’un manuscrit du Contra Julianum de saint Augustin qui a permis de corriger l’exemplaire correspondant conservé à Clairvaux. Un des manuscrits conservés témoigne du travail de collation effectivement mené.

L’histoire de textes amène un autre éclairage sur cette question. Parmi les plus remarquables productions de Clairvaux dans la première moitié du XIIe siècle figure un recueil des Opuscula de saint Augustin en 7 volumes3 copiés dans l’ordre où Augustin lui-même les cite dans ses Retractationes. Une notice tirée des Retractationes introduit chaque texte. Des témoins antérieurs de cette même édition figuraient dans les collections de Pontigny et des Prémontrés de Saint-Marien d’Auxerre. Leur modèle commun demeure à ce jour non identifié.

Exemple de mise en page citation Exemple de mise en page citation Exemple de mise en page citation Exemple de mise en page citation Exemple de mise en page citation

À Clairvaux, les dons représentent environ 10% des enrichissements de la bibliothèque à cette période. Bernard de Clairvaux a notamment reçu du comte de Champagne Thibaud une Bible en deux volumes (MGT, ms 458, t.1-2) richement enluminée. Non moins précieux sont les manuscrits amenés par le prince Henri, fils du roi Louis VI le Gros, qui prit l’habit à Clairvaux où il demeura entre 1145 et 1150 avant de devenir évêque de Beauvais4.

Aux XIIIe et XIVe siècles, la part de manuscrits copiés à Clairvaux devient marginale. Ils correspondent à des manuscrits liturgiques, à des commandes de l’abbé et aux travaux personnels de quelques moines5.

La plupart des enrichissements proviennent d’ateliers de copistes laïcs parisiens, liés à l’université. Ils arrivent à Clairvaux, soit par achat direct pour le compte de l’abbaye6, soit par des achats faits par des moines qui entrent ensuite dans les collections de l’abbaye, soit enfin par des dons.

L’importance de ces enrichissements tient à la création par Clairvaux, en 1245-1246, d’un collège à Paris destiné à accueillir des moines de l’ensemble de l’ordre cistercien venus suivre l’enseignement universitaire. Le Collège Saint-Bernard, qui correspond à l’actuel Collège des Bernardins, disposait d’une bibliothèque modeste – une vingtaine de volumes au XIIIe siècle, dont certains étaient sortis des collections de l’abbaye de Clairvaux. En 1320 le collège fut racheté par l’ordre cistercien et les manuscrits transférés à Clairvaux.

Au-delà de ces quelques volumes, l’abbaye de Clairvaux s’est enrichie de manuscrits acquis par ses moines pendant leur séjour à Paris. Ces manuscrits étaient achetés auprès de libraires ou d’autres étudiants, ou copiés par les moines eux-mêmes. Le collège fit également office d’intermédiaire auprès des libraires parisiens pour l’achat par Clairvaux de certains manuscrits. Le coût de ces manuscrits universitaires est de plusieurs livres par volume, selon la taille de l’ouvrage et la richesse de l’enluminure.

Clairvaux a également bénéficié de nombreux dons, parfois très importants. Cinq donations de collections de bibles glosées ont été mises en évidence par Jean-François Genest7, représentant une cinquantaine de volumes copiés dans la première moitié du XIIIe siècle.

Les conditions d’enrichissement des bibliothèques à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle sont délicates à déterminer. Notons que Clairvaux n’a pas fait venir d’imprimerie, contrairement à l’abbaye de Cîteaux. Les manuscrits et imprimés subsistant attestent la part prise par certains individus dans l’enrichissement de la bibliothèque : l’abbé Pierre de Virey et le prieur et bibliothécaire Jean de Voivre à la fin du XVe siècle, le bibliothécaire Mathurin de Cangey après 1500. Ces moines copient, acquièrent, échangent des textes pour leur collection personnelle, qui après leur mort vient enrichir la bibliothèque commune. On doit notamment à Jean de Voivre un florilège épistolaire qui s’achève par un texte intitulé « Ex epistolis duorum amantium », correspondance amoureuse attribuée par certains auteurs à Abélard et Héloïse8. Ce manuscrit d’usage personnel, écrit sur papier et couvert d’une reliure en parchemin très simple, est d’un coût négligeable comparé aux manuscrits universitaires.
Thomas de Cantimpré, Bonum universale de Apibus. Ouvrage commandé par l’abbé Pierre de Virey.

MGT, ms 560, f. 1.
L’entrée des premiers imprimés à Clairvaux est favorisée par les liens qu’entretiennent Jean de Voivre et Mathurin de Cangey avec le milieu humaniste, et notamment avec le grand libraire et imprimeur parisien Josse Bade. Clairvaux bénéficie en outre, en 1512, du don par le libraire Antoine Vérard d’une partie de son fonds, à l’occasion de l’entrée de son fils Claude Vérard à Clairvaux9.

Les conditions d’acquisitions de livres après les premières décennies du XVIe siècle restent à étudier. Cependant, les ex-libris des imprimés subsistant suggèrent un rôle majeur des individus dans le développement des collections. De manière tout à fait ponctuelle, entre 1744 et 1748, Dom Claude Guyton, bibliothécaire de Clairvaux, enrichit la collection de l’abbaye en rassemblant une vingtaine de manuscrits de valeur de monastères cisterciens où ils étaient mal conservés10.

L’acquisition de la bibliothèque des Bouhier en 1782 constitue un mystère. Les conditions de cette acquisition sont bien connues : la bibliothèque de la famille Bouhier, réputée riche de 35 000 volumes manuscrits, fierté du monde littéraire de Dijon, est mis en vente en 1781 par son héritier, le comte d’Avaux, pour 300 000 livres. L’abbé de Clairvaux est seul à faire une offre, de seulement 135 000 livres11. La somme est payée grâce aux prêts d’abbayes cisterciennes. En revanche, les motifs de cette acquisition sont inconnus. Peut-être faut-il y voir une volonté de l’abbé de Clairvaux de remédier à la médiocrité de la bibliothèque à cette époque, indigne de son statut de chef d’ordre.

 

Passée la Révolution française, le fonds de la bibliothèque de Clairvaux peut être considéré comme clos ; cependant, dès le XIXe siècle, la bibliothèque de Troyes s’est attachée à rassembler des éléments de ce fonds passés en mains privées. Le Supplément au catalogue des manuscrits des bibliothèques de province recense en 1904 une dizaine de volumes issus de la bibliothèque de Clairvaux acquis depuis 185512. Les dons, legs et acquisitions de bibliothèques au cours des XIXe et XXe siècles ont aussi permis de recouvrer des ouvrages distraits de la collection  de Clairvaux à une date inconnue13.

Plus récemment, quatre miniatures découpées, sans doute au XIXe siècle, dans une Histoire scolastique du XIVe siècle (ms 59) ont été achetées en 1999 et une opération de restauration menée en 2002 par la BnF a permis de les réintégrer à leur place d’origine14.

La mise en place de la présente Bibliothèque Virtuelle de Clairvaux constitue une forme virtuelle d’enrichissement, ou plutôt de reconstitution de la collection originale. Elle a également vocation à devenir un espace d’écriture et de création, susceptible d’insuffler une nouvelle vie à cette bibliothèque.

Références

  1. 1.  Dès 1119 le Chapitre de l’ordre de Cîteaux prescrit que toute nouvelle fondation dispose des livres suivants : psautier, hymnaire, collectaire, antiphonaire, graduel, Règle, missel. Cf. [Lefèvre, 1954], p. 241-266 ; [Bondéelle 1989], p. 70-71 ; [Falmagne, 2000], p. 195-222.
  2. 2.  La disparition des manuscrits liturgiques s’explique aisément – changements liturgiques, très nombreuses pertes ; les manuscrits de la Règle ont dû faire l’objet d’une circulation intense.
  3. 3.  Seuls six volumes subsistent : MGT, ms. 40, t. 1, 2, 3, 6, 9 et 10.
  4. 4.  Il s’agit de MGT, ms. 488, 511, 512, 871, 872, 1023bis, 1083, 1620, 2260, 2266 et Montpellier, BIU, H 155, 231.
  5. 5.  Cf. [Manuscrits de Clairvaux 2006], p. 36
  6. 6.  C’est notamment le cas des Evangiles glosés du collège Saint-Bernard (MGT, ms. 81). Cf. [Manuscrits de Clairvaux 2006], p. 26
  7. 7.  Cf. [Bouhot Genest Vernet 1997], p. 101-105
  8. 8.  MGT, ms. 1452. Cf. [Manuscrits de Clairvaux 1979], p. 37.
  9. 9.  [Manuscrits de Clairvaux 1979], p. 39.
  10. 10.  [Vernet 1979], p. 58-59 et 739-747.
  11. 11.  Cf. [Ronsin, 19XX], p. 133-140
  12. 12.  Le plus important de ces manuscrits est le répertoire de Mathurin de Cangey (ms 2616), essentiel pour la connaissance de la bibliothèque au début du XVIe siècle, est du nombre.
  13. 13.  Ainsi la bibliothèque du collectionneur Charles Des Guerrois, léguée à Troyes au début du XXe siècle, comporte-t-elle une Vita Christi de saint Bonaventure, imprimée par Pigouchet, qui provient de Clairvaux (MGT, inc. 458, [notice dans le catalogue]).
  14. 14.  [Bouhot Genest Vernet 1997, p. 74].