1

Commentaire de saint Grégoire sur le Cantique des cantiques

Troyes, M.G.T., ms. 1869. Anchin, v. 1180-1185

Le manuscrit a été écrit et orné vraisemblablement pour l’abbé Simon d’Anchin ; son artiste se place dans le sillage des enlumineurs qui ont peint pour l’abbaye de Saint-Amand les manuscrits des Épitres de saint Grégoire (BnF, ms. lat. 2287, v. 1160-1170) et des Commentaires de Gilbert de la Porrée sur Boèce (Bibl. mun. Valenciennes, ms. 197, v. 1170-1180). Son texte, le commentaire de saint Grégoire sur le Cantique des cantiques, est disposé comme une glose et entremêlé d’une interprétation anagogique, mais le texte de saint Grégoire donne seul le sujet des seize initiales peintes.

Prologue saint Grégoire

Dans le prologue (§ 8), saint Grégoire explique sur son rouleau qu’on doit « venir de la crainte à l’honneur et parvenir de l’honneur à l’amour ». Le chapitre I s’ouvre par le baiser traditionnel du Christ et l’Église. Au verset 3 de ce chapitre, l’Église tient une palme et une grande église où l’on arrive par la porte de la foi, puis on monte par l’espérance, parcourt la large salle à manger de la charité, pénètre enfin dans la chambre à coucher de la connaissance secrète de Dieu. Le chapitre II débute par le Christ tenant une fleur (« Je suis une fleur des champs »). On saute alors au chapitre V, non pas au début mais au verset 11, et s’ensuivent treize initiales ornées ou historiées pour quinze versets, finissant au chapitre VI, 8.

On est dans le jardin des mariés et le commentaire insiste sur l’union du Christ et de l’Église. Une initiale champie (chap. V, 11) attire l’attention sur les boucles de cheveux du Christ qui sont les fidèles (fol. 162). Au fol. 163v (chap. V, 12), l’Église tient un calice et un livre, et ses yeux sont entourés de deux colombes ; Grégoire explique que les colombes sont les prêcheurs du Christ qui convertissent par les saintes Écritures. Au fol. 164v (chap. V, 13), les joues pigmentées du Christ sont assimilées aux martyrs qui versent leur sang pour la foi, et le Christ dirige le visage de l’Église vers un saint en train d’être écorché. Une initiale ornée d’un dragon signale au fol. 165v (chap. V, 13b) que les lèvres de l’Époux sont les prêcheurs. Son ventre d’ivoire (fol. 168, chap. V, 14) est « la mortalité non corrompue qui mène à l’immortalité, à la résurrection », et l’initiale présente le Christ ressuscité devant l’Église. Au fol. 172 (chap. V, 16), l’Église montre du doigt le Christ aux filles de Jérusalem, c’est-à-dire aux « âmes fidèles qui, en entendant les louanges et en voyant les bienfaits du Christ, désirent ardemment le connaître ». Au fol. 173 (chap. V, 17), la Synagogue demande à l’Église : « où est allé ton bien-aimé ? », et au fol. 174, on retrouve le bien aimé, descendu dans son jardin pour cueillir un lis (chap. VI, 1) ; l’Église le désigne à trois hommes, expliquant que c’est à travers elle, l’Église, que les fidèles sont joints au Christ par la foi et l’amour inséparable, et que le Christ les retire de la vie lorsqu’ils sont mûrs. Au fol. 176v (chap. VI, 2), le Christ embrasse l’Église qui tient une église apparemment monastique, car « la Synagogue, par la prédication de l’Église, se convertira » et aimera le Christ du même désir que l’Église. Le Christ et l’Église enlacés au fol. 177v (chap. VI, 3) sont la vision de paix céleste, l’union et la charité. Au chapitre VI, 4-6, les joues du Christ, assimilées aux moitiés d’une grenade, sont les fidèles qui se soumettent au martyre sous l’Antéchrist, en référence à l’Apocalypse et les deux témoins, souvent identifiés comme ici avec Hénoch et Élie. Deux initiales ornées closent la série, les interprétations faisant référence aux saints et aux élus (chap. VI, 7, fol. 181v et chap. VI, 8, fol. 185).

Dans les cahiers 20-23, qui recueillent les initiales peintes des chapitres V et VI, les initiales filigranées sont d’un style très éloigné de ceux pratiqués à Anchin ou Saint-Amand. En effet, elles ont été achevées à Clairvaux et reprennent les éléments du style sénonais du dernier tiers du XIIe siècle. Il est fort probable que le manuscrit a été envoyé à Clairvaux dans les années 1180 en don de remerciement de la part de l’abbé Simon d’Anchin (1175-1201), qui en 1179, au retour de Rome, s’est arrêté à Clairvaux où les moines lui ont donné quelques reliques de saint Bernard pour son abbaye. Les initiales historiées peuvent être considérées comme une louange de Clairvaux où l’union du Christ et de son Église atteint un apogée.

Patricia Stirnemann