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Portrait de Dom Rocourt, dernier abbé de Clairvaux

Troyes, M.G.T., Fonds iconographiques. France, v. 1783-1789

Louis-Marie Rocourt fut le 51e et dernier abbé de Clairvaux. Né à Reims le 10 juin 1743, il fit ses études dans l’université de cette ville. Il prit l’habit cistercien à Clairvaux où il enseigna la théologie. Il fut nommé procureur de l’abbaye en 1768, prieur en 1773 et enfin coadjuteur de l’abbé Le Blois en 1780. Il succéda à ce dernier en 1784. Il dut quitter Clairvaux en 1792 et s’installa à Juvancourt, puis à Bar-sur-Aube où il mourut le 6 avril 1824.

Dom Rocourt

Le portrait fut vraisemblablement réalisé du temps de son abbatiat. Il n’est ni signé, ni attribuable à un artiste. Dom Rocourt avait alors entre 40 et 47 ans, ce qui est conforme à l’âge apparent du modèle. Il est représenté de trois quarts, revêtu d’une tenue ecclésiastique blanche et d’une cape bleue. Il porte une bague de saphir ou d’améthyste au doigt. Cette représentation concorde avec l’abbé mondain et le prince de l’Église que le comte Beugnot dépeint dans ses mémoires :

Il disposait de trois ou quatre cent mille livres de rente, avait de belles voitures, ne marchait qu’avec quatre chevaux et un piqueur en avant ; il se faisait donner du Monseigneur par ses moines et les gens de sa cour et aussi par ceux en grand nombre qui avaient besoin de lui. Il gouvernait despotiquement je ne sais combien de couvents d’hommes et de femmes qui dépendaient de son abbaye et se plaisait beaucoup à la visite de ces derniers…

Aucune monographie n’a été publiée sur le dernier abbé de Clairvaux et les réflexions trop spirituelles de Beugnot doivent être mises en regard de son administration. Dom Rocourt contribua notamment, comme coadjuteur puis comme abbé, à l’acquisition des 30 000 volumes de la bibliothèque Bouhier par Clairvaux en 1782, puis à l’édification d’une nouvelle bibliothèque, près du logement de l’abbé. Aussi la présence de deux ouvrages comme unique décor de l’image n’est-elle pas anodine. Les œuvres de saint Bernard côtoient celles de saint Thomas d’Aquin, qui reste au XVIIIe siècle la référence de l’enseignement de la théologie. Par ailleurs, Dom Rocourt a œuvré, dès 1790, à préserver le chef de saint Bernard, d’abord en en dispersant des fragments, puis en restituant la face en 1813 pour qu’elle soit vénérée à la cathédrale de Troyes.

Le portrait de Dom Rocourt fut vraisemblablement conservé par celui-ci à son départ de Clairvaux. Au cours du xixe siècle, le tableau arrive dans les mains du chanoine Jean-Baptiste Coffinet, archéologue et érudit local, dans des circonstances qui mériteraient d’être éclaircies. Le testament de l’abbé Coffinet, établi le 30 octobre 1881, comporte le legs, pour la bibliothèque de la ville, des « portraits des cinq derniers abbés de Clairvaux ; quatre sont des gravures, le cinquième, l’abbé Rocourt, le dernier abbé, est peint sur huile ». Ce legs fait suite à plusieurs donations de l’abbé Coffinet à la bibliothèque et notamment celle, en 1852, de la pseudo-charte de fondation de l’abbaye de Clairvaux.

Pierre Gandil