La Bible historiale de Guiard des Moulins
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MGT, Troyes, ms 59

Le Catalogue de 1472 désigne sobrement comme « une grosse bible entiere en viel gaulois » un des plus beaux manuscrits de Clairvaux du XIVe siècle. Encore s’agit-il d’une notice ajoutée tardivement au catalogue au XVIIe siècle. Le manuscrit ainsi décrit est en réalité un exemplaire de la Bible historiale. L’histoire de ce texte mérite quelques éclaircissements.

Vers 1178, Pierre le Mangeur, doyen de la cathédrale de Troyes et chancelier de Notre-Dame de Paris, publia l’Historia scolastica, un commentaire littéral de l’ensemble de l’Ancien Testament. Ce texte, rapidement enrichi d’une suite consacrée au Nouveau Testament, s’imposa comme manuel de théologie dans l’Université parisienne. Vers 1295, un chanoine d’Aire-sur-la-Lys, Guiard des Moulins, traduisit ce texte en français en l’enrichissant de larges extraits de la traduction de la Bible en français établie au cours du XIIIe siècle. La Bible historiale ainsi constituée connut un très rapide succès : selon Samuel Berger, « au cours des XIVe et XVe siècles […] il n’est presque pas un château de grande maison, en France et dans les pays voisins, où n’ait figuré quelqu’un de ces précieux manuscrits, qu’enrichissaient des miniatures de toute beauté ». Au fil de cette diffusion, le texte de la Bible historiale s’est enrichi de nouveaux passages plus ou moins importants de la Bible en français du XIIIe siècle. Selon la typologie établie par Samuel Berger, le ms. 59 est une moyenne Bible historiale.

Entre 1315 et 1350, la Bible historiale est une des œuvres les plus fréquemment copiées et enluminées à Paris. Le ms. 59 constitue un remarquable témoin de ce succès éditorial. Il fut copié dans les années 1320-1330. Ses 622 f. s’ornaient de 168 peintures, dont 145 subsistent, réalisées par deux artistes au style bien différent, actifs à Paris entre 1310 et 1340. Un premier ensemble de peintures se caractérise par des fonds carroyés et une palette en demi-teinte, composée de rouge, blanc, bleu, rose, brun et mauve. L’artiste, le maître de Fauvel, a enluminé une cinquantaine de manuscrits. Son collaborateur, le Maître du Bibl. nat. Fr. ms. fr. 160 use quant à lui de couleurs vives et contrastées : orange, ocre jaune, ocre, rose pourpré et vert.  Ses compositions ressortent sur des fonds généralement unis, souvent uniformément dorés. Sa main se retrouve dans une quinzaine de manuscrits, dont une autre Bible historiale. Outre les enluminures en tête de chaque livre biblique, l’illustration consiste en cycles portant notamment sur la Genèse. L’alternance entre les deux artistes est particulièrement visible au sein de ces cycles.

Ce manuscrit est probablement arrivé à Clairvaux avant 1472. Son absence de la rédaction initiale du catalogue tiendrait au fait que les manuscrits en français n’y étaient pas recensés. Il a été mutilé, sans doute au cours du XIXe siècle, de 27 miniatures. En 2002, une opération de restauration a permis de réintégrer en leur place d’origine quatre retrouvées en 1999.

P.G.